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First, do amuse.

11/02/2009 20 commentaires

Bon sang, ce qu’il est facile d’oublier les bases. Coder sans penser. Expliquer sans comprendre. Manger sans gouter. Ce que l’on fait quotidiennement tend vers l’habitude. L’habitude tend vers l’automatisme. L’automatisme implique l’absence de réflexion. L’absence de remise en question. Ainsi, celui qui pratique quotidiennement son art prend le risque de s’enfermer dans ses réflexes et dans ses certitudes. De cesser de se renouveler pour devenir un imitateur de lui même, un pastiche de celui qu’il était lorsqu’il doutait encore de lui.

La clé est là : douter de soi.

Aujourd’hui, on considère la confiance en soi comme primordiale pour vivre une existence épanouie. Cette confiance en soi est enseignée comme l’art de refouler ses doutes à propos de ses compétences, de faire taire la peur de l’échec, et de briser la crainte du jugement. On est bien loin de ce qu’enseignait Socrate au Vème siècle avant notre ère : « Ἓν οἶδα ὅτι οὐδὲν οἶδα« . Je sais que je ne sais rien.

Ce culte de l’auto-congratulation tend au narcissisme. Fini, l’acceptation de l’ignorance. Il est désormais honteux de douter de ses opinions, voir d’ignorer ce que l’on devrait savoir. Les questions servent à vérifier la conformité de la réponse de l’autre, et plus à se renseigner. L’accès au savoir est humiliant : les bibliothèques sont désormais des lieux de silence, et non de partage. Les amphithéâtres sont emplis de gens cherchant à prouver leur valeur, et non pas à l’acquérir. La culture est un pré-requis. Même lorsque l’on ignore tout de ce dont on nous parle, on secoue la tête d’un air approbateur. Et on ira chercher plus tard, sur Internet, à l’abri devant son écran et loin des regards indiscrets et des jugements d’autrui, le Graal de cette culture qui nous échappait. Ironiquement, la capacité à se remettre en question est quelque chose que l’on recherche chez les autres. À quoi bon avoir raison si l’on ne peut pas corriger les tords d’autrui ?

Cette culture de la certitude se ressent partout. Celui qui a peur est un faible. Celui qui doute est probablement un incompétent. Aujourd’hui, on n’apprend plus. On valide nos acquis. On ne découvre plus. On constate. On ne s’émerveille plus. On l’avait déjà vu sur YouTube.

Personnellement, je suis le dernier des incompétents. J’ai souvent du mal à l’accepter, car les habitudes de la société sont difficiles à éviter, mais c’est un fait. Chaque personne que je croise aurait des centaines de choses à m’apprendre. Chaque jour, j’ai l’impression d’être de plus en plus petit au milieu de ce brouhaha de savoir, de culture, de rhétorique, de politique, de science, d’art, de lettres, de pensées. J’ai appris à accepter l’idée que je mourrai ignare. Plus j’en apprend, et moins j’en sais. Alors tant pis.

Essayez donc, vous aussi, de ranger votre blason de convictions l’espace d’un instant, et de vous montrer, nu et fragile, tel que vous êtes, au reste du monde. Écoutez vos prochains comme s’ils distillaient par leur parole les secrets d’un art mystérieux. Ouvrez les yeux sur l’océan infini de votre ignorance, et nagez-y. On peut exister dans le doute.

C’était un petit billet d’humeur et de philosophie de comptoir, destiné à extérioriser toute mon incrédulité face à ces gens qui m’expliquent avec tant de verve leurs évidentes contradictions à la logique sous prétexte que « bon sang, tout le monde le sait ». Et le titre, c’est le serment du game-designer, à propos duquel je crains de constater, au fil de mes aventures vidéoludiques, qu’il se perd de plus en plus.

Désolé.

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