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Apprendre à jouer, ou jouer pour apprendre

22/03/2011 13 commentaires

Dés de Mohenjo-Daro

Dés de Mohenjo-Daro, 2300 av. J.C.

Il est probable que les hommes préhistoriques jouaient déjà, certainement à des jeux d’adresse. Les premiers dés apparaissent à la fin du 3ème millénaire (voir ci-contre), et les premières références écrites à ces derniers chez les égyptiens. À l’époque, Thot est le dieu de l’écriture et des jeux, et ceux-ci semblent avoir eut une place importance dans divers cultes, notamment à travers la divination. Il n’existe pas de mot, ni en grec, ni en latin, permettant de désigner un « jouet ». Pourtant, Platon ou Quintilien déjà émettaient l’idée que l’on puisse apprendre à travers le jeu, mais seulement lorsque l’on est un enfant.

Selon Caillois, le jeu est une activité « libre, séparée, incertaine, improductive, réglée et fictive ». Dans de nombreux esprits, le jeu et le travail sont des activités antinomiques. Paradoxalement, il existe de nombreuses études pédagogiques visant à réconcilier le monde du jeu et celui de la scolarité, et de nombreuses méthodes d’apprentissage par le jeu. Au sein de l’armée, par exemple, les simulateurs de combats sont de plus en plus proches de jeux vidéo. De nombreuses grandes firmes commencent à s’ouvrir à ce milieu, au travers de ce que l’industrie appelle les « serious games ».

Alors, peut-on réellement placer le jeu d’un côté et le travail de l’autre ? D’un point de vue sociologique, il est certain que les deux univers ne provoquent pas les mêmes réactions. Le travail est rarement perçu comme une activité ludique, et il est même parfois mal vu de s’amuser de son activité professionnelle. La qualité intrinsèque d’un travail est quelquefois jugée à sa pénibilité. On travaille plus « fort » lorsque l’on souffre plus de ce travail. Le jeu, quant à lui, est bien souvent considéré comme une perte de temps, ou comme une activité réservée aux enfants. Même s’il tend à se démocratiser, il existe encore de nombreux milieux où jouer est perçu comme une forme de faiblesse.

Lors du DICE il y a maintenant un an, Jesse Schell a fait le portrait d’un monde où le jeu se serait infiltré partout. Où l’on gagnerait des points en se brossant les dents. Où l’on débloquerait des succès en conduisant de façon éco-responsable. Et où cela ne serait pas seulement amusant, mais également lucratif: un bon brosseur de dents payerait moins cher son assurance dentaire. Un bon conducteur bénéficierai de tarifs privilégiés sur son carburant. On y serait constamment comparé à ses amis, on y serait aussi analysés et décortiqués par des stratégies marketing pointues, localisées, ciblées, pertinentes.

Pourtant, le trait le plus évident du jeu est son opposition à la réalité. Le cœur du jeu, c’est « pour de faux ». C’est ce qui crée l’expérience ludique, et c’est ce qui crée la liberté du joueur : l’échec aussi est « pour de faux ». Le rôle que l’on joue dans un jeu est imaginé, ou au moins imaginaire. On peut être passionné par un jeu, il peut créer de puissantes émotions, mais il est innocent. Vaincre au jeu, ça n’est pas humilier l’adversaire. C’est triompher de ses règles. Le jeu est une parenthèse dans la réalité, et tout se qu’il s’y trouve est oublié lorsque l’on la referme.

Alors, pourquoi joue-t-on ? Pour apprendre. Le jeu crée un contexte favorable à l’apprentissage, puisqu’il se place dans une démarche parallèle à la réalité, dans laquelle on fait semblant. Qu’importe si je rate cent fois ce rocher de ma lance, tant que cela me permettra de toucher ce bison qui me nourrira. Qu’importe si je meurs lors de ce deathmatch, mes réflexes n’en seront que meilleurs.

Il me parait capital, lorsque l’on conçoit un système de jeu, de systématiquement se poser cette question : « qu’est-ce que va apprendre le joueur? » — car une fois qu’il aura appris, le système aura perdu tout intérêt à ses yeux.

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